jeudi 25 septembre 2008

Louis Feuillade recontre Alice Guy





Fantomas de Louis Feuillade

A l’automne 1905, Elge dépose sur le bureau de sa directrice artistique plusieurs scénarios ; ils lui ont été transmis par Michel Coissac*, chef du service des projections de la Maison de la Bonne Presse, par ailleurs éditrice de la Croix et duPèlerin. Leur auteur est un ancien collègue de Coissac à la Bonne Presse : Louis Feuillade. Ces scénarios plaisent à Alice Guy qui convoque leur auteur et lui offre de les mettre en scène lui-même. Feuillade, père de famille depuis peu, hésite, après des années de vache enragée, à abandonner son emploi de secrétaire de rédaction à la Revue mondiale. Pour le remplacer, il avance la candidature d’Etienne Arnaud (1879-1955), lui aussi originaire de l’Hérault ; avec cet ami, il a écrit un drame en un acte et en vers, le Clos, et animé le Toro-Club parisien. Docteur en droit, ancien chansonnier et… chômeur, Arnaud accomplit sa première mise en scène en tournant le premier scénario de Louis Feuillade : Attrapez mon chapeau! sorti en janvier 1906. Il poursuivra sa carrière chez Elge de préférence dans les films "de genre", jusqu’à l’automne 1911. A cette date, il part pour New York où la société Eclair l’a nommé directeur des studios qu’elle vient de construire sur la rive est de l’Hudson River à Fort Lee. Jusqu’en août 1914, il réalisera de nombreux films, parmi lesquels un Robin des Bois. Il ne reviendra au cinéma qu’en 1925 pour des doublages et sous-titrages. Entre-temps il a publié avec Boisyvon un recueil de souvenirs, le Cinéma pour tous.

Feuillade, qui propage le désir d’activité et la bonne humeur, s’entend fort bien avec Alice Guy. Devenu le scénariste attitré de la maison, il lui apporte trois scénarios par semaine jusqu’au jour où — peu de mois après, précise Alice Guy — il sacrifie le journalisme à la mise en scène. Mais sa faculté d’invention est telle qu’il continuera pendant au moins un an à fournir l’argument des films de ses collègues, en particulier Roméo Bosetti, d’abord interprète de la série Roméo, puis réalisateur jusqu’en 1910 de la série Calino (interprète Mégé) continuée ensuite par Jean Durand.

L’essentiel de la production étant assurée par Arnaud, Feuillade, Bosetti et un auteur promu à son tour metteur en scène : J. Roullet-Plessis, Alice Guy peut se consacrer en plus de ses films personnels à un nouveau département de la maison. Alice Guy dès l’origine, croit au film parlant. En 1905, elle utilise un appareil, le "chronophone", qui combine l’enregistrement sonore sur rouleau de cire et l’image filmée. L’essentiel de l’activité d’Alice Guy en 1906 et jusqu’au printemps 1907 consistera à réaliser 160 phonoscenes pour le chronophone. Dépassant rarement une ou deux minutes, ils reproduisent surtout des chanteurs en action ou des tableaux illustrés par des chorals. Après les Ballets de l’Opéra (avec Gaillard et la maîtresse de ballet), les Sœurs Mante danseuses mondaines, elle enregistre la classe de Rose Caron du Conservatoire dans Carmen, Mignon, Manon, les Dragons de Villars, les Cloches de Corneville, Madame Angot, la Vivandière, Fanfan la Tulipe, le Couteau de Théodore Botrel. Elle enregistre à la faveur d’un voyage en Espagne des Danses gitanes. Viendront interpréter leur répertoire devant sa caméra et ses enregistreurs : Mayol, Dranem et Polin.

Elle ne se désintéresse pas pour autant du film muet. En 1906, désireuse de filmer des courses de taureaux à Nîmes, elle décide de profiter des paysages environnants pour adapter des œuvres appartenant à la littérature provençale. Feuillade, en raison de sa connaissance intime de la région et de sa littérature, est adjoint à l’expédition comme scénariste. Alice Guy l’associera même à la réalisation de certains films comme Mireille, lorsque la mise en scène exige des conditions difficiles à assumer par une femme. Lesquelles ? "Par exemple, monter dans un arbre", précise-t-elle. En dépit d’un premier négatif rayé de Mireille, l’expédition qui dure un mois est fructueuse (tous les chefs-d’œuvre de la littérature provençale seront mis au pillage, reconnaît Feuillade), et très cordiale.

L’équipée provençale va, de plus, être déterminante pour l’évolution du cinéma français, du cinéma américain — et tout d’abord pour la vie personnelle d’Alice Guy.

Par exception, elle n’était pas accompagnée de son inséparable opérateur, le "père Anatole" (Anatole Thiberville), indisponible, et qui d’ailleurs n’aimait pas les voyages. (Elle le lui a reproché avec humour dans son Autobiographie d’une pionnière.) Il est remplacé par un jeune Anglais qui a débuté à la succursale de Londres et fait un stage rue de La Villette avant d’être nommé sous-directeur de la succursale de Berlin.